Chapitre 11
Les rats sortirent dans les rues pour mourir. Comme si d’avoir passé leur vie à grouiller dans la pénombre leur avait soudain fait souhaiter respirer l’air pur du dehors avant de périr. Leurs cadavres jonchaient les rues, et pourrissaient au soleil. Les habitants du quartier commencèrent par s’en inquiéter. Mais quand ils comprirent que la vermine était en train de mourir, l’inquiétude fit place à un immense soulagement. Les cadavres étaient assemblés en tas puis chargés dans des camions qui les emportaient vers des incinérateurs où ils étaient réduits en cendres inoffensives. Il n’avait fallu attendre que deux jours pour qu’apparaissent les premiers signes des effets du virus et les événements se précipitèrent dans le courant de la semaine suivante. On dénombrait encore quelques attaques contre des personnes mais elles se faisaient moins fréquentes et l’on découvrit que le virus avait un effet secondaire remarquable.
Un soldat fut mordu par un rat qu’il avait cru mort. Il le tua puis se rendit à l’hôpital où il s’attendait à mourir. Son état demeura critique pendant trois jours mais il finit par s’en tirer et on attribua sa survie à une réaction du nouveau virus sur la maladie dont les rats étaient porteurs. Le germe mortel s’en trouvait considérablement affaibli.
Quelques autres victimes de morsures n’eurent pas autant de chance. Certaines moururent dans les vingt-quatre heures, d’autres traînèrent jusqu’à une semaine. Il n’y eut pas assez de cas pour qu’on pût en tirer des conclusions définitives mais le simple fait qu’une victime avait survécu et que d’autres avaient mis une semaine à mourir était encourageant.
Trois semaines plus tard on commença à estimer que le danger était passé bien que l’on eût recense seulement deux mille cadavres de rats environ. On supposa que le reste de la population était morte ou mourante sous terre.
La vie revint lentement à la normale. On mit au point des plans pour le nettoyage et la réhabilitation des plus vieux quartiers de l’est de Londres. Un certain nombre d’immeubles et de constructions seraient détruits, les terrains vagues, en revanche, seraient construits ou à tout le moins bétonnés et transformés en parkings ou terrains de jeux. Toute la zone des docks serait rénovée et modernisée. Les sous-sols inutilisés seraient hermétiquement fermés tandis qu’une vaste opération de rénovation et de reconstruction du réseau d’égouts et de canalisations serait entreprise. Il y faudrait des millions et des millions de livres mais la leçon ne serait pas oubliée. Pour finir, Stepney et Poplar deviendraient probablement des quartiers à la mode et leur passé serait oublié.
Foskins fut complètement blanchi des premières accusations qui avaient été portées contre lui et retrouva officiellement ses fonctions. Le premier ministre le félicita en personne et il transmit ses félicitations à l’équipe qui l’avait aidé à accomplir sa tâche. Lors d’une conférence de presse, il chanta les louanges des spécialistes dont les efforts et l’ingéniosité avaient finalement permis de vaincre les affreuses créatures et la terrible maladie qu’elles véhiculaient. Sans jamais le dire il laissa subtilement entendre que tout le crédit lui en revenait en tant que père et organisateur du projet.
Ils continuaient de se réunir chaque jour à la mairie pour discuter des progrès de l’opération mais le sentiment d’urgence les avait quittés. On utilisa le virus pour mettre au point un sérum contre les morsures du rat qui cessèrent donc d’être mortelles. La chose passa presque inaperçue puisque les cas de morsure se faisaient chaque jour plus rares.
Le danger était passé. C’est du moins ce que tout le monde croyait.